L’art-thérapie : quand créer peut soigner
Quand loin de la psychanalyse, des thérapies cognitivo-comportementales et des approches psychothérapeutiques où la relation patient-praticien est souvent décrite comme neutre et aseptisée, l’art-thérapie apparaît comme une perspective de soin originale qui utilise le processus de création artistique. Enquête sur une thérapeutique en vogue.
Et si on faisait appel à l’artiste qui sommeille en nous afin de nous soigner ? C’est le point de départ de l’art-thérapie, une approche thérapeutique dans laquelle un “artiste-thérapeute” utilise ses connaissances artistiques pour aider des patients à se soigner de troubles mentaux ou physiques.
L’idée que l’art peut être cathartique ne date pas d’aujourd’hui ; d’Aristote à Freud, on n’a eu de cesse de la théoriser. Puisant ses racines dans l’étude des œuvres d’art produites par des malades mentaux, à l’image des productions d’Adolf Wölfli, l’art-thérapie a évolué pour s’articuler autour d’un discours entre thérapeute et patient basé sur la production artistique de ce dernier. Malgré le franc succès qu’elle rencontre actuellement, la discipline connaît quelques difficultés à produire des études scientifiques qui lui permettraient d’être reconnue par l’Etat. Lumière sur une méthode thérapeutique encore trop méconnue.
Créer pour soigner
“Ça m’a vraiment sauvé la vie. L’art-thérapie peut vraiment sauver des vies.” Aujourd’hui, quand Caroline parle d’art-thérapie, elle ne manque pas d’éloges et n’hésite pas à recommander cette pratique “comme médicament, pour n’importe quoi et n’importe quel art”. Cette quadragénaire d’abord passée par la psychiatrie pendant une dizaine d’années pour gérer ses troubles addictifs a découvert cette méthode thérapeutique il y a deux ans en rentrant dans un CSAPA (Centre de soins, d’accompagnement et de prévention en addictologie). Depuis, Caroline se rend une fois par semaine à ses séances où elle est accompagnée par un art-thérapeute qui l’aide à se soigner en pratiquant le slam.
À l’instar de la psychothérapie, en art-thérapie on se soigne lors de séances individuelles ou de groupes, aussi appelés ateliers. Et pour Caroline, le résultat est probant :
“Je vois les personnes qui sont suivies là-bas d’une autre façon et le travail de groupe c’est ce qui nous sort des entretiens entre quatre murs qui rendent dingue. La psychiatrie rend dingue.”
Sans pour autant dénigrer les thérapies verbales, Isabelle Barthélémy, une art-thérapeute qui s’est lancée dans cette voie après dix-huit ans de pratique, reconnaît que l’art-thérapie permet d’aller plus loin lorsqu’elle est utilisée en complément d’une autre approche :
“ Je suis habituée à la thérapie verbale relativement classique. Au bout d’une quinzaine d’années à exercer ce genre de psychothérapie qui restait relativement ‘intellectuelle’, j’ai eu l’impression d’avoir besoin d’autres outils pour aller plus loin. J’avais déjà entendu parler de l’art-thérapie qui, par ailleurs, me correspond parce que je pratique les arts plastiques. Je me suis dit que cela pourrait apporter quelque chose de différent et peut-être de plus profond au processus thérapeutique. Pour moi, il s’agit d’une poursuite du mécanisme de soin qui permet d’aller plus loin. ”
Créer pour soigner, c’est l’ambitieux challenge de l’art-thérapie. Caroline en est persuadée, on peut guérir en créant :
“ Les mots ne sont pas quelque chose d’anodin. A l’adolescence j’étais rentrée dans un mutisme après des traumas qui n’ont jamais été résolus. J’étais vulnérable. Quand on les prononce, ce sont nos mots à nous, donc forcément, on parle de nous. Ce ne sont pas des paroles en l’air. On parle tranquillement avec des paroles réfléchies et ça aide beaucoup. ”
Une notion encore floue
Si les résultats sont là (des études montrent que l’art-thérapie réduirait le stress et l’angoisse, entre autres) et que de plus en plus de gens s’y intéressent, l’art-thérapie reste une notion encore trop méconnue. Régis Boguais, praticien et enseignant en art-thérapie à l’université Panthéon-Sorbonne, insiste sur la plasticité de la définition :
“ L’art-thérapie est quelque chose qui est ‘à la mode’ en ce moment. Pour cette raison, beaucoup de monde se la réapproprie. En plus de cela, il existe différents courants qui peuvent être parfois en opposition. Par conséquent il est difficile de trouver une définition qui englobe l’intégralité des pratiques même s’il existe des dénominateurs communs […] Personnellement, j’aime bien l’idée que l’art-thérapeute, ce n’est pas simplement un psychothérapeute qui utilise l’art, mais davantage un artiste qui fait de la psychothérapie. ”
Même si les formations proposées se multiplient – on peut notamment faire un doctorat en art-thérapie aujourd’hui – la profession n’est pas réglementée, ni reconnue en France, contrairement aux pays anglo-saxons où elle est bien institutionnalisée. Et pour cause, elle est prise dans un cercle vicieux : le manque de financement l’empêche de produire des études qui prouvent son efficacité et lui permettrait d’être reconnue, mais comment la rendre attractive si les consultations ne sont pas remboursées car la discipline n’est pas reconnue ?
Pour contourner cette impasse, des art-thérapeutes se sont rassemblés afin de créer la Fédération française des art-thérapeutes (Ffat). Regroupant les principaux courants de l’art-thérapie, elle définit cette dernière comme étant “une pratique de soin fondée sur l’utilisation thérapeutique du processus de création artistique”. En revanche, chaque praticien possède une pratique qui lui est propre. Pour Régis Boguais, il existe quatre prérequis indispensables pour que l’on puisse parler d’art-thérapie :
“ La présence d’un thérapeute, un cadre thérapeutique défini (cadre horaire, réglementaire et spatial défini par le thérapeute), une méthodologie validée scientifiquement et une indication (si vous n’êtes pas malade, vous n’allez pas voir le médecin). ”
La relation basée sur la production artistique
Contrairement aux thérapies verbales où le patient exprime ses émotions de vive voix, en art-thérapie, il a la possibilité de s’exprimer à travers une ou plusieurs modalités artistiques qui lui sont proposées : peinture, musique, sculpture, slam, danse, etc. La création sert de cadre à la guérison. L’activité artistique agit comme un détour, elle favorise notamment la baisse des défenses – mutisme, déni – que le patient pourrait mettre en place dans une thérapie verbale. Cela dit, il ne s’agit pas de placarder un diagnostic en observant les productions du patient, ni de juger des qualités plastiques de cette dernière, comme l’explique Régis Boguais :
“ On analyse plastiquement la production de la personne, on regarde les ombres, les lumières, l’équilibre de la composition, les thèmes… On a ensuite parfois un dialogue avec le patient. En fin de session, on regarde l’ensemble des travaux pour regarder l’évolution du travail. S’il y a des redondances ou des choses qui se modifient au cours des séances, on peut l’évoquer avec la personne, mais on ne va jamais plaquer notre propre interprétation des choses, même si on a une petite idée. ”
Pour Isabelle Barthélémy, c’est aux patients, à travers leur réflexion avec le thérapeute sur leur production, de “trouver une des solutions possibles à leurs problèmes”. La relation thérapeute-patient est déterminée avant tout par la production artistique, qui va servir de base à dialogue métaphorique :
“ Les patients attendent beaucoup de nous les thérapeutes. Lorsqu’il y a une production au milieu, les patients attendent moins du thérapeute. En fait, il accouche lui-même, métaphoriquement, de sa propre production. ”
Soigner un large éventail de troubles
En outre, l’art-thérapie contribue à soigner un large éventail de troubles psychiques et comportementaux allant de la dépression légère à la schizophrénie. D’après Isabelle Barthélémy, elle peut aider les personnes qui souffrent de divers troubles :
“Ça peut aller du TOC – qui peut ne pas paraître si handicapant – à la schizophrénie ou la bipolarité. L’art-thérapie fonctionne aussi très bien pour des troubles de conduite alimentaire (tout ce qui est compris entre boulimie et anorexie). J’ai aussi des patients qui se posent simplement la question du sens de leur vie. Très souvent en art-thérapie, on cherche des moyens pour apaiser une forme d’angoisse et d’anxiété.”
Les troubles mentaux, mais pas seulement. Pour Régis Boguais, “l’art-thérapeute peut se trouver dans des services de soin somatique”, comme en cancérologie ou en réadaptation “où le but est d’aider les personnes à traverser le vécu difficile de la maladie. On peut aussi trouver des art-thérapeutes en milieu scolaire ou carcéral.”
Ainsi, l’art-thérapie apparaît comme une pratique unique, novatrice et universelle, capable “d’apaiser les souffrances” de tout un chacun, quelle que soit la raison pour laquelle il consulte, comme l’estime Isabelle Barthélémy. En soi, l’art-thérapie n’est pas une pratique absolue, puisqu’elle peut être utilisée en complément d’autres thérapies – elle peut aussi servir de thérapie principale.
Comme le conclut Isabelle Barthélémy, l’apport de l’art-thérapie est unique dans le monde du soin psychologique :
“ L’art-thérapie laisse une trace non seulement dans l’intellect, mais aussi dans le kinesthésique, c’est-à-dire dans le corps – même s’il s’agit d’une trace qui peut être intellectualisée. C’est vraiment cela la nouveauté apportée par l’art-thérapie. ”